Les interrogations autour des exsudats, des phénomènes de suppuration et de la gestion de l’humidité ont des fondements très anciens. Déjà, pour Hippocrate, toute maladie résultait d’un déséquilibre entre les quatre fluides vitaux du corps humain, en rapport aux quatre éléments constitutifs de la nature : le sang chaud et sec (le feu) ; la bile jaune, froide et sèche (l'air), la bile noire, chaude et humide (la terre) et la lymphe, froide et humide (l'eau).
Pendant des siècles, la suppuration a été considérée comme un élément indispensable à la cicatrisation. Il s'agissait alors d'avantage de pus que d'exsudats. C'est au XVème et XVIème siècle, fortement marqués par des personnalités telles qu'Ambroise Paré, où commencent réellement à se confronter les partisans des pansements secs (détersifs, astringents) aux partisans des pansements humides. Au XIXème siècle, Joseph Lister et Louis Pasteur découvrent les principes de l'antisepsie et de l'asepsie qui vont révolutionner les prises en charge chirurgicales et plus globalement, les soins de plaies. L'ère est au pansement sec, de recouvrement, après des désinfections quasi-systématiques.
Même si Auguste Lumière invente le Tulle Gras en 1915, il faut attendre les années 60 et les résultats des travaux du Dr George D. Winter (1927-1981) pour évoquer les bénéfices d'une cicatrisation en milieu humide. G. Winter a en effet démontré sur l'animal qu'une plaie cicatrisait plus vite lorsqu'elle était recouverte d'un film de polymère, que si elle était laissée à l'air libre, ou pire, asséchée. Ses résultats ont été publiés dans la célèbre revue Nature et reste une référence incontournable pour tout professionnel qui s'intéresse au traitement des plaies.
Les bénéfices d'une cicatrisation en milieu humide : Sur les bases de ces travaux ont été développés les premiers produits de cicatrisation capables de réguler l'humidité : les hydrocolloïdes. Utilisés assez rapidement en stomathérapie, ces pansements n'ont trouvé que progressivement leur place dans les soins de plaies ; les limites et inconvénients de ces pansements (odeurs, macération, délitement) étant souvent mal compris ou mal gérés.
Ainsi, dans les années 90 ont été développés sur ce principe de « cicatrisation en milieu humide » de très nombreux produits, plus faciles à appliquer, adaptés aux différents stades de cicatrisation et sites de plaie (ex : hydrocellulaires, alginates, hydrogels).
Une plaie humide inquiète toujours : Aujourd'hui, bien que ce concept soit prôné par bon nombre d'experts, il se heurte toujours à un scepticisme, tant de la part de certains médecins et soignants qu'en population générale. Une plaie sèche et recouverte d'une croûte rassure. Une plaie qui coule inquiète. Cette croyance est toujours forte et responsable de nombreux retards de cicatrisation, d'où l'importance d'expliquer et d'éduquer les patients lors de la mise en place des protocoles de soins. Cela semble encore plus important lorsque les patients sont âgés, car plus susceptibles de développer des plaies chroniques (ex : ulcère veineux).
Le concept de “milieu humide contrôlé” : Mais la médecine serait sans doute plus simple si elle n'était pas composée d'exceptions. Le concept de “milieu humide controlé” n'échappe pas à cette règle. Ainsi, des lésions telles qu'une nécrose distale sur un terrain artéritique, une botte kaposienne ou certaines nécroses post-chirurgicales doivent parfois au contraire être asséchées afin de pouvoir en délimiter les contours et bien différencier les tissus sains des tissus nécrosés, ou pour éviter leur aggravation.
Ces plaies spécifiques relèvent d'un suivi médical rapproché, pour éviter notamment les erreurs diagnostiques et permettre d'élaborer des protocoles adaptés à ces situations.
Newsletter Plaies et Cicatrisation, réalisée en partenariat avec Paul Hartmann
Auteur: Isabelle Fromantin, Infirmière experte Plaies et Cicatrisation-Institut Curie